Cyber-harcèlement : un problème virtuel ?

D’après les chiffres de l’UNESCO, 200 millions d’enfants dans le monde se font harceler[1]. Les enfants ont quotidiennement peur, ils partent à l’école la boule au ventre. Le harcèlement peut avoir des conséquences majeures sur les enfants, qui sont des cibles fragiles et dont l’accès est facilité grâce à internet et notamment les réseaux sociaux.

Le cyber-harcèlement est défini comme « un acte agressif, intentionnel perpétré par un individu ou un groupe d’individus au moyen de formes de communication électroniques, de façon répétée à l’encontre d’une victime qui ne peut facilement se défendre seule »[2].

D’après le site du ministère de l’éducation nationale, le cyber-harcèlement peut prendre plusieurs formes telles que l’intimidation, les insultes, les moqueries ou les menaces en ligne. Dans certains cas, le harcèlement peut aller plus loin comme le piratage de comptes et l’usurpation d’identité digitale, ou encore la création d’un groupe ou d’une page sur un réseau social à l’encontre d’un camarade de classe.

Bien que les réseaux sociaux soient plébiscités par les jeunes, ces plateformes ne sont pas pour autant « sûres ». Seulement 6% d’entre eux jugent ces plateformes « sûres » selon le rapport annuel de Ditch The Label, une association britannique de lutte contre le harcèlement[3]. Ce rapport recense les témoignages de 10 000 jeunes qui ont parlé ouvertement du harcèlement à l’heure du digital. Ainsi, d’après cette étude, toutes plateformes confondues, 54% des jeunes estiment avoir été harcelé en ligne, que ce soit en raison de leur apparence physique, de leur orientation sexuelle ou de leurs centres d’intérêts. Autrement dit, la moitié des jeunes de 12 à 20 ans estiment avoir déjà été harcelés sur les réseaux sociaux.

Instagram arrive en tête des réseaux sociaux où le harcèlement est le plus fréquent, suivi par Facebook et Snapchat. Le harcèlement est principalement exercé via des messages privés où les insultes et les moqueries priment. La propagation de fausses rumeurs est également utilisée pour atteindre certains utilisateurs.

Si certains se font harceler, ceux qui exercent ces méthodes sont très nombreux. Ainsi, l’étude britannique souligne que 69% des jeunes reconnaissent avoir déjà manqué de respect à une personne sur les réseaux sociaux.

Ces comportements sont très néfastes pour les jeunes. Ces 25 dernières années, le taux de dépression des 14-24 ans aurait ainsi augmenté de 70%. À cela s’ajoutent les troubles du sommeil, de l’alimentation et la perte de confiance en soi. Le cyber-harcèlement est donc un mal actuel qui découle de notre société dite « de l’information et de la connaissance » (Périne Brotcorne et Gérard Valenduc Les compétences numériques et les inégalités dans les usages d’internet, 2009).

Aujourd’hui, les disparités en termes d’accès aux Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) tendent à se réduire. En effet, d’après le dernier Baromètre 2017 du numérique publié par l’ARCEP, le CGE et l’Agence du Numérique le taux d’équipement des français ne fait qu’augmenter[5]. Ainsi, 81% des français possèdent un ordinateur, 73% un smartphone (contre 17% en 2011), et 44% d’entre eux une tablette. Actuellement, « se servir des avantages des technologies numériques est présenté comme la condition sine qua non d’une pleine intégration économique, sociale et culturelle. » (Périne Brotcorne et Gérard Valenduc).

La montée du taux d’équipement ainsi que la facilité d’accès à internet par les jeunes facilitent la propagation de propos haineux.

Ainsi nous pouvons nous demander en si la manipulation et le harcèlement sont des phénomènes réellement distincts des problèmes rencontrés dans la « vraie vie », ou s’ils en sont un simple prolongement.


De la « vraie vie » vers la manipulation et le harcèlement sur internet

Des enjeux similaires ?

D’après l’étude de Julie Alev Dilmaç[6], on peut généralement considérer l’humiliation sur internet comme similaire aux formes qu’elle peut prendre dans la “vraie vie”. En revanche, pour cette chercheuse, il faut noter que la cyber-humiliation comporte quelques caractéristiques spécifiques, notamment “l’impossibilité de répondre à l’affront”. On peut aussi mentionner le couvert de l’anonymat.

Cet anonymat semble faciliter l’humiliation et le harcèlement sur internet ; nos interrogés sont d’ailleurs unanimes sur le fait qu’humilier, harceler ou manipuler sont facilités sur internet.

Ils s’accordent également sur le fait que subir ces phénomènes est plus difficile à éviter sur internet.

En dehors du problème de l’anonymat, c’est la question de la gestion des cercles sociaux et de la sphère privée qui peut faciliter le harcèlement : de plus en plus, les réseaux sociaux nous exposent au regard de personnes inconnues ou éloignées de notre sphère de connaissance, tout en donnant l’impression d’une proximité :

“Les réseaux sociaux donnent donc une proximité que le monde réel cloisonne à travers la sphère privée et publique. Et c’est sous cette forme de promiscuité qui semble être réel que la manipulation de ces outils devient dangereuse, à la fois pour soi, mais également pour notre entourage.[7]

Les même cibles ?

62,5% des enquêtés pensent qu’il existe des cibles privilégiées du cyber-bullying. Les jeunes, grands utilisateurs des réseaux sociaux, en seraient les principales victimes.

De plus, on assiste à un phénomène de prolongement des activités sociales de la « vraie vie », et donc de transfert des problématiques visibles par exemple à l’école :

“Depuis que les réseaux sociaux servent de cour de récré, les règlements de comptes entre élèves ont gagné en ampleur. Avec des conséquences parfois dramatiques.”[8]

La sur-connection des jeunes amplifie bien sûr ce problème, puisque ils sont désormais vulnérables presque constamment, et loin de la supervision des adultes[9].

D’après la CNIL, il est cependant important de ne pas oublier que les adultes rentrent parfois aussi dans ces cercles vicieux de cyber-harcèlement, par exemple les professeurs qui sont entrainés dans cette logique de prolongement des aggressions scolaires[10].


Cyber-harcèlement : des solutions dans la “vraie vie ?”

Discussions entre amis

Pour Johann Chaulet, les relations sur internet en général et les réseaux sociaux en particulier, sont le prolongement direct de celles qui apparaissent dans la “vraie vie”, un moyen de permettre à la “fenêtre” de la vie sociale de ne jamais se refermer[11]. Internet est pour les jeunes un espace de construction par rapport et avec les pairs.

Il est donc cohérent de voir que les phénomènes de cyber-harcèlement et manipulation sont des sujets abordés par les jeunes : une très grande majorité de nos interrogés nous rapporte en parler avec des pairs.

“En parler” est même pour une des personnes interrogées une solution possible à ces phénomènes : “souvent les victimes ne parlent à personne de ce qu’elles subissent et donc personne n’agit ”. Un enquêté souhaite en particulier que les usagers “ne ferment pas les yeux”.

En revanche, si beaucoup disent donc en discuter entre eux et le recommandent même aux victimes, quand leur est demandé quelle est la réaction appropriée si l’on est témoin de l’un de ces phénomènes sur internet, la très grande majorité répondent que la première action est de signaler le comportement auprès du site en question. Seuls deux évoquent la prise de parole, un dans le cadre d’une discussion avec les proches, le deuxième avec l’objectif de “faire changer d’avis les agresseurs” ou “les prendre à leurs propres jeux”.

Si la discussion entre amis apparaît comme une solution héritée des phénomènes du harcèlement “classique”, qui permet un contact direct avec agresseur et victime et une prise en charge par la communauté, il est clair que nos enquêtés peinent à réellement la penser comme solution adaptée à ces phénomènes sur internet.

Difficile dans ce cadre de parler réellement de solution au cyber-harcèlement par la discussion entre pairs. On rejoindra plutôt Johann Chaulet dans sa description des relations sociales sur internet comme un prolongement de celles de la “vraie vie”, et vice-versa. Un prolongement donc, et non pas une réponse, d’autant que si le harcèlement a lieu en dehors des groupes restreints d’amis, il devient difficile de confronter l’agresseur ou d’épauler la victime, des problèmes renforcés par l’utilisation de l’anonymat sur internet.

Le lien avec les parents : entre surveillance, éducation, et individualité

Si, on vient de le voir, peu pensent réellement à la discussion entre pairs comme solution à ces phénomènes, la relation avec les personnes en position d’autorité (parents, professeurs) apparaît comme cruciale à nos enquêtés.

Tous souhaitent recevoir des cours à l’école/collège pour apprendre à se protéger sur internet. Quand il leur est demandé quels systèmes pourraient être mis en place pour éviter le harcèlement sur internet, un enquêté propose par exemple un renforcement du contrôle parental, un autre des cours de prévention.

Ceci semble lié au fait que les internautes interrogés se sentent démunis face à ces phénomènes : la majorité ne se protège d’aucune façon particulière contre le harcèlement et la manipulation en ligne. Tous affirment que leurs parents ne sont pas attentifs à leurs comportements sur internet.

Si, on l’a vu précédemment avec Johann Chaulet, les jeunes se construisent entre pairs sur internet et également en opposition avec les adultes, cela n’empêche donc pas cette demande de soutien et d’accompagnement de la part des professeurs et des parents. Une demande du renforcement du contrôle par les parents, et une acceptation du rôle autoritaire de l’école (une majorité approuve l’interdiction des téléphones portables à l’école), va à l’encontre de cette construction en opposition avec ces adultes.

Or, le rôle des parents dans l’éducation à internet est difficile : ils sont pris en tenaille entre les médias et les pouvoirs publics[12], et donc, comme on le voit ici, sollicités par les enfants eux-mêmes.


Si le harcèlement sur internet semble, au premier regard, n’être qu’un simple prolongement du harcèlement et de la manipulation sur internet, nombre d’études montrent que ces problèmes sont des phénomènes à part entière.

Ils restent cependant interdépendants avec les problèmes rencontrés dans la vie réelle. Les cibles restent globalement similaires, même si certaines populations sont encore plus à risque.

D’autre part, les utilisateurs, qu’ils soient victimes ou témoins, cherchent des solutions à ces problèmes dans la « vraie vie », que ce soit dans le cercle d’amis, ou bien auprès d’adultes, parents ou professeurs. Tous pensent qu’une solution à long terme doit impliquer l’école. En contraste avec cette demande de rattachement au monde réel, la majorité de nos enquêtés se contentent des solutions proposées par les sites internet eux-mêmes, notoirement inefficaces, lorsqu’ils sont directement confrontés à ces problèmes.

 

Texte : Ambre Maître et Clément Raoul

Images : Thomas Cecchelani


Références

[1] “Violence et harcèlement à l’école : Rapport sur la situation dans le monde”, Publié en 2017 par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture : http://unesdoc.unesco.org/images/0024/002469/246976f.pdf

[2] Smith, P.K., Mahdavi, J., Carvalho, M., Fisher, S., Russel, S., & Tippett, N. (2008). “Cyberbullying: Its nature and impact in secondary school pupils.” Journal of Child, Psychology and Psychiatry, 49

[3]  “The Annual Bullying Survey 2017”, Ditch The Label, Juillet 2017 https://www.ditchthelabel.org/wp-content/uploads/2017/07/The-Annual-Bullying-Survey-2017-1.pdf

[5] Baromètre du numérique 2017 https://www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/barometre_du_numerique-2017-271117.pdf

[6] Dilmaç Julie Alev, « L’humiliation sur Internet : Une nouvelle forme de cyberdélinquance ? », Déviance et Société, 2017/2 (Vol. 41), p. 305-330. DOI : 10.3917/ds.412.0305. URL : https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2017-2-page-305.htm

[7] Bouillon, Nicolas et Lavendy, Megane : « Cyberbullying », Les Mondes Numériques : https://lesmondesnumeriques.wordpress.com/2016/01/26/le-cyber-harcelement/

[8] 24heures.ch : « L’enfer du harcèlement entre ados sur internet » : https://www.24heures.ch/vaud-regions/enfer-harcelement-ados-internet/story/15226514

[9] Bouillon, Lavendy, ibid.

[10] 20minutes.fr : « Le cyberbullying, un type de harcèlement qui inquiète la CNIL » : http://www.20minutes.fr/societe/621355-20101110-societe-le-cyberbullying-type-harcelement-inquiete-cnil

[11] Chaulet Johann, « Les usages adolescents des tic, entre autonomie et dépendance », Empan, 2009/4 (n° 76), p. 57-65  https://www.cairn.info/revue-empan-2009-4-page-57.htm

[12] Jehel, Sophie. « Conclusion », Parents ou médias, qui éduque les préadolescents ? Enquête sur leurs pratiques TV, jeux vidéo, radio, Internet, 2011, pp. 225-234.

1 Reply to “Cyber-harcèlement : un problème virtuel ?”

  1. Merci beaucoup pour cet article très instructif, il rend bien compte du danger du cyber-harcèlement auquel les jeunes sont confrontés chaque jour sur les réseaux sociaux. L’articulation de l’article permet véritablement de comprendre le cyber-harcèlement aujourd’hui.

    Nous trouvons que l’article rend bien compte du rapport intrinsèque des jeunes avec les réseaux sociaux. Dans cette première partie, nous comprenons bien que l’harcèlement qui parfois se manifeste dans la vie réelle peut se renforcer sur les réseaux sociaux. Cependant quel rôle joue le décloisonnement des frontières entre vie privée et public, entre l’école et la maison dans le cyber-harcèlement ? Pouvez-vous nous l’expliciter ? Nous pensons que cette idée est essentiel pour appréhender la question du cyber-harcèlement chez les jeunes.

    Mesure très critiqué en France, le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer entend généraliser l’interdiction des portables à l’école en France. Cette question soulève de nombreuses interrogations. Pensez-vous que cette mesure pourrait permettre de combattre dans une moindre mesure le cyber-harcèlement à l’école par exemple ? L’utilisation du téléphone dans le milieu scolaire, notamment dans les cours de récréations donne matière à exposer les autres sur les réseaux sociaux, surtout pour les humilier. Cette question élargie votre point de vue sur l’idée de Johann Chaulet concernant le prolongement des relations sociales de la vie réelle à Internet.

    Votre article met en avant à juste titre le rôle important des parents dans l’éducation numérique des enfants. Ce désintéressement des parents sur les sujets de la préservation des données privées, des paramètres de confidentialité ou encore de respect de la vie privée montre bien que ces derniers manquent cruellement d’éducation sur ces sujets. Nous aurions aimé en savoir plus sur la position des parents ne donnant pas suffisamment de crédit à l’impact positif et éducatif de l’école sur leur enfants. Nous sommes persuadés qu’un discours alarmiste à l’égard des parents en les persuadant que le web et les réseaux sociaux sont, sans exception, des lieux de persécution, n’est pas forcement le meilleur moyen d’évoquer les bons comportements et les bonnes limites à poser pour les enfants. La question du cyber-harcèlement est aujourd’hui un phénomème très répandu comme vous l’avez très bien souligné et doit être traiter efficacement.

    Alexandre Grazia & Salomé O’Yallon

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