L’Hyperconnexion après la déconnexion des étudiants de l’école de danse de l’Opéra de Paris.

Aujourd’hui, en comparaison aux années 80 ou 90, tout a changé par rapport à la façon dont nous nous connectons. Notre conception de la connexion était très différente en comparaison à aujourd’hui. Le concept de médias sociaux et TIC était un sujet du future, pas de la réalité du moment. Les personnes que nous connaissions, nos “connexions”, étaient liées à nous d’une manière tangible : famille, amis, travail, école, ou peut-être quelqu’un que vous avez rencontré quelque part. La technologie présentait un obstacle à la connexion, aux rapports humains; avec les téléphones, les lettres ou en prenant un rendez-vous pour parler face-à-face, c’était plus compliqué d’être au courant des événements importants de la vie de nos proches. Puis nous sommes entrés à l’ère de la hyperconnexion, et le nombre de connexions possibles a explosé.

Pour Barry Wellman et Anabel Quan-Haase , l’hyperconnexion est liée à la disponibilité des personnes pour prendre contact partout et à tout moment. Nous disons que nous vivons dans un monde hyperconnecté car grâce aux progrès de la technologie, le taux d’accès aux téléphones portables, internet et donc aux réseaux sociaux, emails, sites de divertissement, etc. est haut pour une grande partie de la population française et évidemment pour les adolescents, qui selon le Baromètre du Numérique du CREDOC 2016, 85% d’entre eux (entre 12 et 17 ans) ont un smartphone qu’ils utilisent pour regarder des vidéos, surfer sur internet et télécharger des applications. En outre, beaucoup d’entre eux ont aussi un ordinateur dans la maison et même une tablette, comme c’est le cas des interviewés, mais il convient de noter que la tablette est uniquement à usage académique et permet un accès limité à certaines pages et il n’est pas possible de télécharger des applications.

Notre objectif est de savoir si l’hyperconnexion après la déconnexion est vraiment un phénomène chez les adolescents de 12 à 14 ans de l’école de danse de l’Opéra de Paris. Tenant compte du fait que leur routine quotidienne est assez différente de celle de l’adolescent moyen, l’hyperconnexion est-elle plus présente dans leur vie? Quelle est l’importance de l’utilisation des TIC pour eux et comment les utilisent-ils? Est-ce qu’ils sont vraiment déconnectés? Une hyperconnexion peut-elle affecter leur performance artistique et scolaire? Pour trouver les réponses à ces questions, nous avons mené un entretien semi-directif avec une élève de l’école de danse de l’opéra de Paris, âgée de 13 ans, étudiante en quatrième division. L’entretien a été réalisé face-à-face dans les salles de danse de l’Opéra de Paris, où ces étudiants reçoivent parfois des cours privés.

La routine d’un adolescent lambda vs. la routine d’un petit rat

À partir du moment où ils se lèvent, les routines de ces adolescents diffèrent de celles de la plupart des adolescents lambda. Leur réveil sonne avant 7 heures du matin et ils doivent partir tôt pour prendre le RER A jusqu’à Nanterre, où se trouve l’école. De 8 heures du matin à midi, ils ont de la scolarité, comme les autres jeunes de leur âge, mais l’après-midi ils ont des cours de danse classique, de comédie musicale, de caractère ou d’histoire de la danse, tout ce qui touche à leur carrière de futurs danseurs ou danseuses de ballet.

Cela signifie que dans la semaine ils ont très peu de temps à consacrer à leurs smartphones, puisqu’ils doivent les éteindre quand ils sont à l’école et ils sont autorisés à les utiliser que lors de la petite pause du matin, à midi pendant la pause déjeuner et le soir quand ils sortent de l’école et ils arrivent chez eux. Cependant, H dit qu’elle n’utilise pas le smartphone quand elle arrive à la maison si elle a des devoirs ou des contrôles, mais que si elle est seule dans la maison, elle profite de l’absence de l’autorité parentale pour l’utiliser. Pour elle, l’utilisation du téléphone portable est assez spécifique ; après l’avoir reçu il y a trois ans, quand elle est rentrée à l’école de danse, son utilisation a évolué en même temps qu’elle a grandi. Bien qu’il reste essentiellement l’outil avec lequel elle peut être en contact avec ses parent en cas de problèmes, c’est aussi un moyen d’expression personnelle et, à l’âge de 13 ans, elle contrôle davantage le type de contenu qu’elle met en ligne.

Par rapport à un adolescent lambda, qui a généralement moins d’activités, et qui ne suit pas une routine si stricte et, par conséquent, qui utilise les TIC  plus fréquemment, les élèves de l’école de danse sont un peu plus déconnectés du quotidien et des mises à jour fréquentes de leur contacts, qui sont généralement des amis ou de la famille, parce qu’ils vivent dans une bulle où leur routine bien disciplinée et contrôlée influence directement leur utilisation des réseaux sociaux et des TIC.

Utilisation des outils numériques de communication

Pour ces adolescents qui ont Instagram et Snapchat comme réseaux sociaux favoris, ces outils les aident à rester en contact avec leurs amis, qui sont aussi -en général- des étudiants de la même école et les permettent de construire des relations avec leurs pairs. Dans l’ouvrage « les usages adolescentes des TIC , entre autonomie et indépendance » Johann Chaulet  explique, que bien que ce besoin de faire partie d’un groupe ne soit pas nouveau et ne provienne pas de la montée des TIC, c’est la principale raison pour laquelle les jeunes passent du temps sur leur ordinateur ou smartphone, car de cette façon, ils peuvent maintenir des liens avec leurs amis.

Cette génération préfère communiquer à travers des images, dans « les pratiques de jeunes sous la pression des industries du numérique » , Sophie Jehel nous explique que « la communication par l’image se caractérise par la rapidité, elle favorise aussi la surexposition de l’intimité », pour eux, c’est beaucoup plus pratique et rapide, mais cela ne limite pas à donner d’autres utilisations à ces outils. Dans le cas particulier de ces jeunes, bien qu’ils utilisent principalement Snapchat, pour communiquer avec leurs amis ou pour poser des questions sur les cours ou les devoirs, ils utilisent également Instagram, pour trouver du contenu adapté à leurs intérêts ; comme dans le cas de H, à qui les algorithmes d’Instagram proposent des photos et vidéos de ballet, de danseurs ou d’autres académies de danse du monde parce qu’il est lié à ce qui l’intéresse et passionne.

Cependant, ces jeunes danseurs ont pour la plupart un compte Instagram privé. Puisqu’ils font partie de l’Opéra de Paris, ils ne peuvent pas montrer leurs visages publiquement, ni prendre des photos des spectacles, parce que pour des questions de droits d’auteur, ces images appartiennent à l’institution et les élèves peuvent recevoir des réprimandes de la directrice de l’école si les photos du spectacle ou des répétitions sont accessibles à tout le monde.

S’il est vrai qu’en grandissant, ces jeunes bénéficient d’une liberté dans leurs pratiques, leurs goûts, etc. que leur permet de commencer à s’approprier leur espace, puisqu’ils ont moins de contrôle parental et qui se reproduit en même temps dans l’utilisation des outils de communication numériques (téléphone portable, adresse électronique, ordinateur) , ils ne sont pas totalement indépendants, par exemple, dans la tranche d’âge de H (12-14 ans), 93% des parents veulent savoir ce que leurs enfants font en ligne et même établissent des règles pour limiter l’utilisation de ces dispositifs. Quand la mère de H lui a offert son téléphone portable, elle a imposé des règles d’utilisation telles que : ne pas l’utiliser à table, ne pas l’utiliser quand il a de contrôles et, même le week-end, si elle passe beaucoup de temps avec son portable elle reçoit une réprimande verbale sur les conditions d’utilisation.

Déconnexion volontaire

On pourrait penser qu’après avoir passé 5 jours par semaine avec une connexion Internet limitée, ces jeunes ont le besoin de rattraper tout le temps perdu, et qu’ils souffrent du « syndrome de zappeur », défini par Jauréguiberry comme « l’ensemble de symptômes du mal latent qui guette ceux qui vivent leur expérience d’instantanéité médiatique selon une logique de pure rentabilité au point de s’y faire absorber », néanmoins, ce n’est pas le cas de H, qui nous surprend avec le niveau de maturité par rapport à ce qu’elle fait; par exemple, quand nous lui avons demandé si elle avait le besoin de  rattraper tout ce qu’elle n’a pas vu dans ses réseaux sociaux au cours de la semaine, elle nous a répondu  « L’année dernière oui, je passais mon week-end sur les réseaux sociaux maintenant je trouve ça bête de voir toutes les photos que les gens ont posté ». Elle reste très concentrée sur la danse, donc ce genre d’exposition excessive de soi lui semble banale en ce moment. Même lorsqu’on lui a demandé si elle utilisait son téléphone portable avant de dormir, elle nous a dit qu’elle l’évitait parce qu’il lui fallait beaucoup de temps pour s’endormir et, étant danseuse, elle connaît l’importance de se lever tôt et d’être bien reposée.

Ces jeunes ont  été très tôt exposés aux technologies, par exemple H a eu son premier téléphone portable à l’âge de 11 ans, un ordinateur et une adresse e-mail aux alentours de cet âge aussi, le tout sous la surveillance de ses parents. Dans son cas, avoir un portable lui a donné un peu d’autonomie puisqu’elle étudie en banlieue parisienne et habite à Paris intramuros, mais malgré les tentations qu’une connexion Internet peut générer, H nous dit qu’avant elle passait beaucoup de temps sur Internet, mais que maintenant elle publie beaucoup moins et elle a réduit son utilisation pendant les week-ends ; et bien qu’il n’y ait que des gens qu’elle connaît parmi ses followers, elle choisit soigneusement ce qu’elle publie, en faisant une sorte de curation de contenu sans aller aux extrêmes, car elle pense que publier une grand quantité de selfies est inutile et que dans les réseaux sociaux Il est difficile de croire ce qu’elle voit, car de nombreuses photos sont retouchées et préparées pour gagner des likes.

Bien qu’une hyperconnexion affecterait directement la performance académique et artistique d’une étudiante lambda, dans le cas de H, ce phénomène ne se produit pas, puisque à 13 ans, elle a une maturité qui est basée sur le fait d’être disciplinée par son activité favorite: la danse.

 

1 Haase Anabel, Wellman Barry. Hyperconnected Network: Computer-Mediated Community in a High-Tech Organization. The Firm as a Collaborative Community: Reconstructing Trust in the Knowledge Economy, edited by Charles Heckscher and Paul Adler. New York: Oxford University Press, 2006 Pp. 281–333

CREDOC. Baromètre du numérique 2016.

3 Chaulet J. (2009) « les usages adolescentes des TIC , entre autonomie et indépendance », Empan, nº 76, pp. 57-65

4 Jehel S.  (2015) « les pratiques de jeunes sous la la pression des industries du numérique » Journal des psychologues (automne 2015)

5 Martin O.(2007) « La conquête des outils électroniques de l’individualisation chez les 12-22 ans » . Ré seaux nº 145-146, pp. 335-366

6  Jauréguiberry F. (2014) « La déconnexion aux technologies de communication » Réseax 4 (Nº 186), pp. 15-49.

(Désolée pour les fautes d’orthographe)

Article écrit par Kathryna Canizalez  (Toujours à l’attente des photos)

2 Replies to “L’Hyperconnexion après la déconnexion des étudiants de l’école de danse de l’Opéra de Paris.”

  1. Cet article est une illustration du rapport d’une adolescente à l’addiction aux réseaux sociaux. Il offre un regard sur des pratiques de connexion et déconnexion. À ce titre, le texte s’inscrit parfaitement dans la problématique d’hyper-connectivité et offre un bon complément à des points abordés par d’autres articles du site.

    Cependant l’article souffre d’une ambiguïté dans sa construction. L’enquête donne les moyens de présenter les pratiques de H, et les questionnement sont centrés autours. Nous pensons que le plus pertinent aurait été d’assumé complètement le texte comme une « retranscription » de l’entretien avec H. Le problème est qu’une forme universitaire est recherchée. La mini enquête, intéressante et maitrisée n’est néanmoins pas suffisante pour explorer scientifiquement une problématique. Pour cette raison l’introduction présente l’article comme répondant à quatre problématiques différentes, sans vraiment exprimer précisément des hypothèses en écho pour y répondre. Il est possible que ce problème vienne d’une volonté de respecter une forme universitaire, ce qui n’est pas toujours pertinent lorsque le travail se rapproche plus d’une retranscription de résultat d’un terrain d’enquête unique. Plusieurs articles sur ce site souffrent d’ailleurs de ce problème, et n’ont pas de formes adaptées à un travail qui est une « mini-enquête ». Ce fait vient peut-être de l’insistance de la consigne à avoir une pertinence scientifico-universitaire.
    Ce problème se retranscrit aussi dans les citations. Il y a des citations d’auteurs, mais pas de H ? C’est pourtant elle le centre du sujet non? Il aurait peut-être fallut lui donner la parole et mieux contextualiser qui elle est et comment vous l’avez rencontré.

    Si on met de coté ce problème sur la forme, le fond et les analyses se tiennent et sont pertinents. Cependant le format court impose de ne pas rentrer dans plus de détails, ce qui aurait été vraiment intéressant à certains moments, par exemple sur le sujet de la danse :
    La danse change t-elle l’utilisation des RS seulement comme une occupation ? ( intérêt autours des communautés et des contenus liés, mais en plus l’occupation est vécue comme une responsabilité qui demande parfois de prendre de la distance avec la connexion)
    Ou la danse de ballet a t-elle réellement des particularités qui lui sont propre dans son influence sur l’utilisation des RS ? C’est une question complexe mais qui permet de remettre en avant la place de la danse de ballet dans cet article (le petit paragraphe sur la censure d’instagram par l’Opéra aurait mérité à être creusé par exemple !)

    Une dernière petite question, qu’est ce que l’adolescent moyen ? C’est un concept utilisé fréquemment dans l’article comme point de repère mais qui peut être sujet de questions importantes : est ce la représentation type d’un adolescent, si oui par qui ? Ou est ce une projection statistique : l’adolescent qui se situe au centre de toutes les moyennes, dans ce cas il faut comprendre des catégories statistiques et les réalités sociales qu’elles gomment ! (Ce que l’article fait en partie en mettant en parallèle l’idée de cet adolescent moyen et les pratiques de H)

    En tout cas, bravo pour le travail !

    1. Merci pour votre commentaire, je suis contente que cela vous a plu. Effectivement,nous trouvons que la forme université exigée n’es pas forcement la meilleur pour ce type de recherche. Nous parlons que pour nous, car cela ne nous concerne pas de critiquer même de façon constructive le choix et style de rédaction des autres articles. Cependant avec un enquête limité vu les contraintes de la disponibilité des sujets à interviewer et le temps que nous avions pour le faire, nous avons voulu mélanger la forme universitaire avec ce que l’entretien nous a permi de constater.

      Le citations des auteurs sont dans le texte, vous avez raison, néanmoins nous avons choisi de ne pas retranscrire directement tous les phrases dites par H car elle ne voulait pas être cité textuellement, donc nous avons intégré les aspects importants de ce qu’elle nous a raconté comme reflexions qui complémentent les aspects théoriques que nous avons cité explicitement. Nous trouvons que le fait d’expliquer qui elle est n’est pas relevant pour cette recherche et non plus la facon comme nous nous avons rencontrés, car cela fait partie de sa vie personnelle et de ma vie professionnelle qui n’ont rien à voir avec l’enquête, c’est pour cela que nous nous avons concentré sur ses habitudes, sa rutine et ce qu’elle pense sur le sujet actuellement.

      Pour répondre à vos autres questions, il est vrai que c’est complexe arriver à savoir cela avec une mini enquête, pourtant après avoir parlé avec H nous pourrions dire que ce n’est pas forcement la danse qui change l’utilisation des réseaux sociaux, c’est plutôt la discipline qui implique le fait de pratiquer une activité très exigeante qui demande beaucoup de dédication, je pense que je pourrais dire empiriquement que cela doit être le même cas pour les élèves des conservatoires qui pratiquent de la musique ou ceux avec un entrainement sportif d’haute performance. Dans son cas, la censure imposé pour l’école de danse de L’Opéra de Paris a plus à voir avec le droit d’auteur et le droit a l’image (dans les spectacles il est interdit de prendre des photos par exemple) qu’avec le danse en soi. Cependant nous trouvons que le fait de ne pas avoir le droit d’utiliser leur portable quand ils sont à l’école permet qu’ils soient plus concentré sur la scolarité et sur la danse et H pense également que la déconnexion est nécessaire pour développer ses compétences et elle ne le voit pas comme une punition.

      Par rapport à ce que vous commenté sur l’adolescent moyen, il est l’adolescent lambda qui va a une école qui ne se spécialise pas dans le développement d’une activité spécifique comme un conservatoire ou l’ecole de danse, et qui donc, a une routine plus ou moins similaire à celle des autres élèves de son école. Il n’y a rien à voir avec des projections statistiques comme vous demandez, c’est juste l’adolescent lambda commun.

      Nous espérons avoir répondu vos questions et nous vous remercions pour vos reflexions.

      Kathryna Canizalez

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