Le smartphone comme amplificateur de lien social: le cas de l’application Snapchat

Le smartphone semble être devenu un indispensable dans le quotidien des jeunes de nos jours (nous emploierons ici le terme « jeunes » pour désigner les 12-17 ans). 93% des 12-17 ans sont équipés en téléphone mobile, dont 85% en smartphone selon une enquête du CREDOC1 (2015). En effet, nous pouvons constater que « dans l’univers des jeunes, le mobile occupe une place privilégiée parmi les technologies du quotidien 2». Ceci se veut encore plus vrai depuis la démocratisation du smartphone : accès à Internet à tout moment, une multitude d’applications, correspondre entre amis par bien des façons … Les raisons de ce succès sont multiples. Parmi les applications, et plus particulièrement les applications de réseaux sociaux, les plus utilisées par les jeunes, nous retrouvons l’application (gratuite) Snapchat : celle-ci a été créée en 2011 et permet le partage temporaire de photos et de vidéos, où il est possible d’insérer du texte sur ces contenus très facilement. Grâce à son succès, l’application s’est de plus en plus développée et instaure régulièrement des nouveautés : entre autres la possibilité de déformer son visage grâce à des filtres sur les photos, de regarder toutes les stories en continu … mais surtout d’échanger des messages avec ses amis. En effet, l’application fonctionne également comme une sorte de messagerie instantanée où il est possible de sauvegarder tous ses messages ou bien de les laisser s’effacer après une seule lecture. L’application Snapchat laisserait donc le choix aux jeunes d’échanger entre eux par le biais de photos ou de messages, mais les incite également à être toujours plus actifs sur la plateforme par un système de points et de trophées. En effet, chaque snap envoyé rapporte un certain nombre de points à l’utilisateur et celui-ci gagne des trophées symboliques au fur et à mesure de son ascension sur l’application. Par ailleurs, des émojis amis sont également présents à côté de chaque conversation et ceux-ci disparaissent si deux utilisateurs ne se parlent pas pendant plus d’une journée, ce qui peut inciter les adolescents à utiliser l’application quotidiennement.

Notre problématique sera donc la suivante : comment, à travers l’utilisation de l’application Snapchat, le smartphone participe-t-il à l’amplification du lien social chez les jeunes ? Nous avons pour cela réalisé deux entretiens semi-directifs auprès de deux jeunes de 17 ans, Mathilde et Nathan, dont les réponses participeront à alimenter les démonstrations de cet article.

Nous avons interrogé Mathilde et Nathan à propos de leurs pratiques sur l’application Snapchat et le résultat est sans appel : ils utilisent l’application principalement pour discuter avec leurs amis. A la question « Pourquoi utilisez-vous Snapchat ? », Mathilde nous répond : « Principalement pour parler. J’envoie pas beaucoup de photos. C’est plus pour les discussions ». Nathan ajoute : « Je l’utilise encore un peu parce que y’en a beaucoup qui parlent par Snapchat justement, et j’ai pas les numéros de tout le monde ». L’application semble donc avoir perdu de son utilité première chez les jeunes qui s’en serviraient à présent comme d’une messagerie instantanée détournée. Nathan évoque des discussions plus fluides sur Snapchat que par SMS, la possibilité de faire des groupes de discussion, d’envoyer des messages vocaux facilement, et également le fait que les photos ne sont que temporaires. Snapchat permettrait donc aux jeunes de maintenir un certain lien social avec leurs relations facilement. « […] les formes connectées et déconnectées de sociabilité se renforcent et se complètent bien plus qu’elles ne se concurrencent. […] Comme le montrent de nombreuses études récentes,  »plus on s’appelle, plus on se voit » ; les listes de contacts des logiciels de messagerie instantanée sont peuplées de personnes qui font, par ailleurs, partie du réseau direct de sociabilité et les amis avec lesquels les adolescents discutent le plus en ligne sont souvent ceux avec lesquels ils passent, physiquement, le plus de temps 3». Cette affirmation se vérifie avec nos deux enquêtés : Mathilde correspond le plus avec « [ses] amis proches » et Nathan avec « [sa] copine le plus, et sinon [ses] trois meilleurs amis ». Snapchat semble renforcer davantage les liens déjà existants dans la vie sociale réelle de ces jeunes. Par ailleurs, le genre semble influer sur ce prolongement des pratiques sociales. En effet, Mathilde nous avoue qu’elle serait incapable de désinstaller l’application : « Non je ne pourrais pas ! Parce que j’y suis tout le temps ! Enfin si je pourrais mais … pfiou … dur quoi ! Y’a quelques semaines j’ai eu un truc comme quoi Snap s’était désinstallé, c’était la panique ! (rires) ». En revanche, Nathan semble moins attaché à ce lien virtuel : « Mon téléphone bugue vraiment beaucoup. C’était pas vraiment un choix [de ne plus utiliser l’application] mais ça m’a aidé et maintenant je suis content. […] Oui je pense que je pourrais [désinstaller l’application]. Je pourrais juste plus parler à certaines personnes, j’ai des conversations sur Snap, des trucs de soirées, c’est chiant ». Le lien social avec leurs relations semble donc être ce qui importe le plus pour ces jeunes, les conversations virtuelles semblent signifier pour eux qu’ils ont une vie sociale. En effet, Nathan nous a parlé des « conversations de soirées », ce qui prouve qu’il est attaché au fait de mener une vie sociale réelle en dehors de l’application. Celle-ci sert à annoncer les événements à venir dans la vie réelle du jeune homme et la disparition de l’application semble signifier une baisse de vie sociale car Nathan ne ferait alors plus partie des « conversations de soirées » et serait peut être même exclu de la dite soirée en elle-même.

Par ailleurs, l’utilisation de Snapchat permettrait de garantir un certain anonymat. En effet, l’utilisateur peut choisir de faire figurer son prénom ou seulement un pseudonyme, contrairement à Facebook, par exemple, qui sait de mieux en mieux reconnaître si l’identité de l’utilisateur est réelle ou non. Les conversations sur Snapchat ne requièrent également pas le fait de donner son numéro de téléphone, comme c’est le cas avec les SMS. C’est ce que nous a expliqué Mathilde à la question « Pourquoi utilisez-vous plus Snapchat que les SMS ? » : « Parce que je donne moins mon numéro que mon Snap, enfin y’a moins de gens qui ont mon numéro que mon Snap. Snap tu bloques, tu supprimes, tu t’en fiches, alors que le numéro c’est plus compliqué. Du coup je préfère donner mon snap que mon numéro. Mon numéro je dis tout le temps non. Snap tu peux ajouter, si la personne te demande et que t’as pas envie tu dis non quoi ». L’application serait donc un moyen pour les jeunes de garder le contrôle sur qui peut les contacter ou non. Snapchat semble les rassurer car ils peuvent accepter ou non un contact et cela serait un moyen pour eux d’éviter le harcèlement par SMS de personnes qu’ils ne connaissent pas ou peu par exemple. Les jeunes sont conscients qu’il est nécessaire de protéger leur vie privée malgré leur forte utilisation des réseaux sociaux. De plus, Snapchat permet de choisir ce que l’on veut montrer à tout le monde ou seulement à certaines personnes, l’application laisse le contrôle de tout à l’utilisateur, contrairement à Facebook par exemple où tous les « amis » peuvent voir une photo postée par une personne faisant partie des contacts. Cette possibilité de contrôle expliquerait sûrement la baisse d’utilisation des autres réseaux sociaux constatée chez nos deux enquêtés. Lorsque nous les avons interrogé à propos de leurs pratiques sur les autres réseaux sociaux, Mathilde déclare : « Facebook, très peu. Instagram je met rarement des choses. Et c’est tout. Twitter j’ai pas. Y’a que Snap que j’utilise vraiment régulièrement ». Nathan de son côté : « Facebook, enfin Messenger. Je me suis crée un compte Twitter, j’ai mis deux ou trois trucs dessus mais j’ai jamais continué, je vois pas l’intérêt. C’est juste pour regarder des vidéos drôles, je ne suis pas des gens précis mais des pages ». Le fait de se tenir au courant de la vie privée des autres ne semble donc pas être au cœur des préoccupations de ces adolescents, ce qui les importe le plus est de maintenir le lien social avec leurs amis qu’ils côtoient dans la vie réelle. « Les adolescents se trouvent confrontés à des enjeux complexes à tenir ensemble : ceux de l’affirmation d’une existence dans le groupe de pairs qui se construit aussi en ligne, d’une bonne utilisation des ressources du web et d’un effort de préservation de la vie privée, afin de limiter la pression des autres 4». En effet, le fait de prolonger et de maintenir les interactions sociales de la vie réelle en ligne semble être le moyen pour les jeunes d’indiquer leur appartenance à un groupe et de consolider ce lien un peu plus chaque jour. La plupart des jeunes ont sûrement peur d’être exclus d’un groupe s’ils ne sont pas présents sur les réseaux sociaux et ne participent pas aux discussions en ligne. Cependant, cela peut déboucher sur une « pression à la connexion permanente 5» : le smartphone nous a habitué à avoir tout tout de suite et l’immédiateté de la réponse à un message semble être un prérequis dans l’utilisation du smartphone chez les jeunes, d’où ce besoin de l’avoir tout le temps sur soi et à n’importe quel moment de la journée, par peur de louper un message et de se retrouver exclu d’un événement en cas de réponse tardive.

Nous pouvons donc constater que le smartphone, et en particulier l’application Snapchat, participe activement à l’amplification du lien social chez les jeunes. L’application agit en effet comme un prolongement des relations de la vie réelle : l’utilisateur correspond avec ses meilleurs amis et ne partage pas ses contenus avec tous ses contacts. Snapchat semble également offrir une navigation plus fluide et plus rapide qu’un SMS selon les dires de nos deux enquêtés. De plus, Snapchat confère un certain anonymat et procure un certain contrôle sur les échanges aux jeunes, qui sont d’ailleurs de plus en plus conscients des dangers des réseaux sociaux. Cependant, Snapchat, comme tout autre réseau social, semble être également le moyen d’affirmer et de montrer sa vie sociale, prouver aux autres que l’on est pas seul et que l’on s’amuse, ce qui peut provoquer une forme d’envie et de jalousie envers les jeunes les plus isolés (Nathan nous expliquait qu’il publiait principalement des photos de soirées dans ses stories, accessibles à tous ses contacts donc). Par ailleurs, cette utilisation parfois abusive de l’application peut conduire à une certaine « pression de connexion permanente », principalement à cause du fait que le smartphone permet de plus en plus de connectivité à tous moments de la journée. L’adolescent peut donc se sentir contraint de répondre rapidement, par peur de représailles ou de louper une information importante, ce qui peut conduire à une forme de dépendance envers son précieux smartphone, qui lui permet de maintenir une vie sociale réelle, contrairement à ce que pensent certaines critiques. En effet, le smartphone permet bien aux jeunes d’amplifier et de consolider leurs liens avec leurs relations de la vie réelle.

Rédaction de l’article: Emilie DELAUNAY

Réalisation des illustrations: Claudia DOUBLET

1Centre de Recherche pour l’Etude et l’Observation des Conditions de vie

2AMRI, Mahdi, VACAFLOR, Nayra, « Téléphone mobile et expression identitaire : réflexions sur l’exposition technologique de soi parmi les jeunes », Les enjeux de l’information et de la communication, 2010, p.5

3CHAULET, Johann, « Les usages adolescents des TIC, entre autonomie et dépendance », Empan n°76, 2009, p.58

4JEHEL, Sophie, « Les pratiques des jeunes sous la pression des industries numériques ».

5CHAULET, Johann, « Les usages adolescents des TIC, entre autonomie et dépendance », Empan n°76, 2009, p.63

2 Replies to “Le smartphone comme amplificateur de lien social: le cas de l’application Snapchat”

  1. Il est bon de voir que les enquêtes sur les usages des technologies numérique et internet montre, que cette sociabilité virtuelle ne remplace pas celle que l’on peut qualifier de réelle. En effet, les 2 se juxtaposes et même ont constate d’après les résultats de l’enquête que le petit ensemble que constitue les intéractions via les réseaux sociaux, fait partie de cette grand ensemble qu’est la sociabilité réelle

    1. Merci Emmanuel pour ce commentaire et l’appréciation de notre travail. Cependant, auriez-vous des critiques à formuler ou des remarques qui pourraient nous permettre d’enrichir encore plus cette enquête ?

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