A l’heure actuelle se cacher est une vraie valeur, notre société est devenue un espace social dans lequel on se montre partout et notamment sur Internet. Cette société de l’exposition de soi s’incarne à travers de nombreux supports sur Internet, notamment les blogs mais aussi les réseaux sociaux. Parmi eux, Instragram et ses 600 millions d’utilisateurs mensuels.
C’est tout simple, sur Instagram un utilisateur possède un profil, une page personnelle où s’affichent ses photos prises ou modifiées via l’application ou à l’aide de logiciels tiers. Les images retouchées et irréelles que l’on voit partout donnent à voir une beauté sans défaut, une perfection inégalable. De plus, les réseaux sociaux grand public ou professionnels exposent l’image de chacun d’entre nous au yeux de tous, volontairement, ou non d’ailleurs. Cette exposition sans limite de ce qui est beau ou ne l’est pas nous oblige à entrer dans les nouvelles « normes » instaurées par la société et à tenter, à tout prix, de maîtriser l’image que l’on renvoie de nous-mêmes.
Le principe d’Instagram repose sur l’immortalisation de la vie quotidienne, transformée par des effets photographiques puis publiée sur un profil. On retrouve ainsi des autoportraits, des photos de vacances ou de lieux culturels, de vêtements mais aussi de pratiques sportives etc. Afin de comprendre le phénomène d’exposition de soi chez les 14-18 ans, il faut s’intéresser aux logiques de productions de plus en plus courantes, qui mettent en exergue un besoin fort d’esthétisation de sa propre vie chez ces derniers. Pour cela nous avons interrogé Sybille, 17 ans, vivant à Paris et comptant déjà près de 1200 abonnés, pour comprendre quelles sont les logiques de mise en avant de soi sur instagram entre identité virtuelle et narrative. Comment certains adolescents se créent une identité subjective propre en s’exposant et en esthétisant leur vie quotidienne ? L’utilisation de filtres, d’applications tiers etc poussent-ils les jeunes à basculer vers une théâtralisation de leur vie quotidienne ? Cette exposition de soi traduit-elle une envie d’être reconnu socialement ? Cette forme d’expression générée par l’image virtuelle offrirait une certaine liberté où chacun peut se montrer tel qu’il le décide mais traduit aussi une quête cachée de reconnaissance.
L’exposition de soi sur Instagram ou l’égocasting
L’exposition de soi est essentiellement une activité volontaire et une pratique sociale. Elle se définie comme une pratique sociale de « mise en visibilité de soi sur Internet pour laquelle le public est ratifié mais pas complètement identifié » annoncent Granjon et Denouël. Les adolescents ne dévoilent pas tous la même chose sur Instagram. Ce phénomène regroupe plusieurs comportements précis et identifiables comme le fait de partager ses expériences et ses goûts, vouloir attirer l’attention sur soi, documenter sa vie ou encore s’autopromouvoir.
Pour les adolescents, Instagram devient la place idéale pour parler de soi et publier du contenu relié à soi, chose qui ne serait pas toujours possible en société, au risque de rapidement passer pour une personne égocentrique surtout à un âge aussi compliqué que le passage avant la phase adulte. « Je peux trouver que ces pratiques sont égocentriques mais je n’en suis peut être pas véritablement consciente en fait (…) je poste simplement du contenu sur ma vie » se confie Sybille, adolescente de 17 ans qui s’expose sur Instagram. Cet égocentrisme se manifeste à travers le partage de sa vie privée et devient un besoin quasi primaire pour la jeune fille.
Instagram et le façonnement d’une réalité à son image
L’idée de mettre en scène sa vie n’est pas nouvelle sur Instagram. Cependant cette pratique était principalement mise en avant par des célébrités ou des personnes publiques. Chaque photo partagée, chaque information publiée est une occasion de modeler la perception que les autres ont d’eux-mêmes. C’est pour cela qu’ils n’affichent généralement que des contenus jugés avantageux. Les adolescents ont très vite compris qu’il était possible de montrer au monde entier ce qu’il y avait de plus beau.
« Les actions qu’il entreprend à un niveau personnel sur son mobile, engendrent de nouvelles passions et satisfactions, de nouveaux pouvoirs. Toutes celles que les jeunes réalisent avec leur téléphone s’articulent complètement avec leur « soi », leur identité. » soulignent Amri Mahdi et Nayra Vacaflor. Le mobile et Instagram rendent possible la création d’une réalité propre à l’image d’une personne sans pour autant qu’elle soit véridique. Cette réalité se fait au milieu d’échanges, de théâtralisations, de narrations de soi et de brouillages identitaires. Les adolescents s’affichent et façonnent une réalité parfois très éloignée du réel mais pas de n’importe quelle façon.
Design et esthétique de soi : l’art de rendre sa vie parfaite sur Instagram
Cette logique du « design de soi » est devenue une caractéristique centrale d’un réseau social numérique comme Instagram. Au travers de ces clichés, l’utilisateur élabore une identité choisie et esthétisée avec notamment l’utilisation d’outils comme Afterlight, Photoshop express ou encore VSCO Cam. Les 14-18 ans sur Instagram élaborent une identité visuelle et virtuelle en publiant des photos représentant des instants marquants de leur vie quotidienne. Pour cela, ils n’hésitent pas à se mettre en scène de façon originale. Sybille parle justement de cette mise en avant, de ce design de soi en affirmant qu’elle met en scène la plupart de ses photographies même s’il s’agit de sa vie quotidienne. « J’ai l’habitude de poster des moments précis de ma journée mais aussi des choses anodines. Une photo avec mon chien par exemple, ça marche bien. Je peux mettre plus de 30 minutes avant de trouver la bonne position. » se confie Sybille 17 ans. La théâtralisation de sa vie quotidienne vient de l’acquisition progressive de codes précis émergeant de la plateforme elle-même. Les jeunes abandonnent donc progressivement l’idée de poster de façon anodine sur Instagram et professionnalisent leur pratique du réseau social.
Le contenu, l’action qui transparait de ces photos peut être vide de sens ou d’intérêt pour certains mais la forme que ces jeunes donnent à leurs publications changent complètement le rapport à l’image. Ces derniers savent à quel moment il est préférable de poster une photo, combien il faut en publier par jour ? Comment gérer son stock de photo ? Quels hashtags utiliser ? Cette gestion très stricte des publications reste cependant complètement dissociable du contenu de la publication mais indissociable d’une exigence communicationnelle, d’échanges et de dialogues. Cette gestion stricte de ses publications s’étend même jusqu’au texte qui les accompagnent. « Il faut que l’interaction texte-image soit harmonieuse. Si tu met n’importe quoi, les gens ne vont pas comprendre ce que tu essayes de montrer. » défend l’adolescente. Sybille sélectionne ou retouche méticuleusement les photos qui souligneraient la ou les facettes de sa personnalité qu’elle désire mettre en avant . De cette manière, elle crée une identité subjective choisie et profite de l’opportunité d’émancipation qu’apporte cette application. Plus de place pour la tristesse ou encore la peine, place à l’uniformisation de la joie.
D’accord mais pour quoi faire ?
La question se pose facilement en voyant la complexité et le travail effectué pour des gestes devenus aussi anodins dans notre société. Publier une photo sur Internet n’a jamais été aussi facile et les jeunes l’ont bien compris. Mais pourquoi se compliquer la tâche ? Pourquoi passer des heures à essayer de trouver l’angle, l’inclinaison ou encore le filtre parfait ? Pour Sybille, il est certain que ce travail est important afin de donner une bonne image d’elle sur les réseaux sociaux.
Elle confie par la suite qu’elle recherche un peu de reconnaissance via cette pratique sur Instagram. « Une photo originale, ça plaît pas mal. ça me permet de me faire identifier et qu’on me reconnaisse par la suite » développe l’adolescente. Les réseaux sociaux poussent les jeunes à prêter encore plus d’attention à ce que les autres peuvent penser d’eux. Cette envie de reconnaissance chez certain jeunes entre 14 et 18 ans n’est pas nouvelle. Elle s’amplifie simplement avec les réseaux sociaux et notamment Instagram. « La fabrication identitaire apparaît alors comme un processus dynamique, public et relationnel qui couple l’expression à la reconnaissance » écrit le sociologue français Dominique Cardon dans son article « Le design de la visibilité ». Cette expression de soi sur Instagram n’est donc pas externe à une volonté de reconnaissance.
…. est-ce vraiment un besoin de reconnaissance ?
Même si les adolescents n’ont pas tous les mêmes mécaniques et typologies de production de contenu sur Instagram, il n’en demeure pas moins qu’elles existent et se confondent parfois aux pratiques sommaires des réseaux sociaux chez cette même partie de la population. Sybille s’expose sur Instagram mais met aussi en scène sa vie quotidienne à travers des filtres mais aussi par l’utilisation stricte d’un smartphone performant et l’assimilation rapide des codes socio-techniques de la plateforme. Si partager sa vie quotidienne est devenu banal au fil du temps pour les jeunes, Instagram a accéléré considérablement les liens pré-existants entre médium et besoin de reconnaissance. La scénographie virtuelle de sa propre vie quotidienne devient alors un moyen pour arriver à ses fins.
Alexandre Grazia / Salomé O’Yallon
Bibliographie :
Amri, Mahdi, et Nayra Vacaflor. « Téléphone mobile et expression identitaire : réflexions sur l’exposition technologique de soi parmi les jeunes », Les Enjeux de l’information et de la communication, vol. volume 2010, no. 1, 2010, pp. 1-17.
Georges, Fanny. « Représentation de soi et identité numérique. Une approche sémiotique et quantitative de l’emprise culturelle du web 2.0 », Réseaux, vol. 154, no. 2, 2009, pp. 165-193.
Granjon, Fabien, et Julie Denouël. « Exposition de soi et reconnaissance de singularités subjectives sur les sites de réseaux sociaux », Sociologie, vol. vol. 1, no. 1, 2010, pp. 25-43.
Granjon, Fabien. « De quelques pathologies sociales de l’individualité numérique. Exposition de soi et autoréification sur les sites de réseaux sociaux », Réseaux, vol. 167, no. 3, 2011, pp. 75-103.
Cardon, D. (2008). Le design de la visibilité: Un essai de cartographie du web 2.0. Réseaux, 152,(6), 93-137. doi:10.3917/res.152.0093.
Merci pour cette enquête dont le thème et l’apport photographique sont tout à fait en adéquation. Cet article est intéressant aussi bien du point de vue photographique que textuel. Les créations photographiques illustrent à la fois l’esthétisation de soi et la perte de sa propre identité cachée derrière une image idéalisée de soi.
Nous aimerions rebondir sur deux points :
• Nous considérons aussi que l’exposition de soi sur Instagram est une pratique sociale. Il semble cependant délicat de caractériser ces comportements sociaux des jeunes envers les TIC comme une action volontaire de leur part. Rejoindre un réseau social est surtout motivé par le fait que des pairs l’utilisent également. Cette motivation passe donc par l’imitation du comportement d’un groupe pour éviter d’en être exclu. L’effet de groupe nous semble alors incompatible avec une attitude volontaire et indépendante de toute contrainte.
• Enfin, nous aurions aimé que le concept très intéressant de « design de soi » soit plus développé car il aurait permis d’étudier l’uniformisation du réseau Instagram, imposant une ligne de conduite et une mentalité particulière (d’entreprise) à ses usagers. Pour citer un auteur auquel vous faites aussi référence, Granjon dit dans son article « Inégalités numériques et reconnaissance sociale Des usages populaires de l’informatique connectée » (Les Cahier du numérique, Vol. 5., 2009) que « La représentation commune de l’usager de l’informatique connectée entre en résonance forte avec celle de l’individu entrepreneur de sa propre vie, référence hégémonique du contexte social global, valorisant le détachement des repères collectifs au profit de la performance individuelle et de l’autoréalisation. Pro-activité, « risquophilie », responsabilisation, management de son existence, travail de ses intérêts personnels, acceptation de la concurrence avec les autres, etc., tels sont les « savoir-être » censés imprégner l’usager des TIC. » Ce formatage imposé par le réseau social fait oublier les effets secondaires potentiellement néfastes d’une telle exposition de soi, puisque selon le témoignage de Sybille, « Une photo originale » lui « permet de (se) faire identifier » et d’être « reconn(ue) par la suite ». Si la reconnaissance de son identité peut être professionnellement avantageuse pour devenir l’ambassadrice d’une marque, cette recherche de la médiatisation à tout prix témoigne d’une ignorance totale du danger potentiel de l’exposition de soi et de ses biens. Un exemple très médiatisé de ces dangers a été l’agression de Kim Kardashian dans sa chambre d’hôtel au cours de la nuit du 2 au 3 octobre 2016 après qu’elle ait posté une photo de ses nouveaux bijoux sur son compte Instagram.
Anna S. et Lisa G.
Merci pour ce commentaire très instructif sur notre article. Nous aimerions rebondir sur vos deux points concernant notre étude.
Afin de répondre au mieux au premier temps, il est important de souligner la nature de l’entretien avec notre sondée. Sybille est une jeune adolescente de 17 ans, vivant à Paris. Notre approche s’est concentrée principalement sur la l’esthétisation de soi sur Instagram mais surtout d’en dégager des logiques de publications. Votre remarque est intéressante mais semble ne pas convenir à une généralité et dans une majorité des cas. Avec Sybille, il est possible de dire que cette dernière n’est pas influencée par son groupe d’amis. En effet, cette dernière a une volonté forte de renvoyer une image précise à sa « communauté ». Pratique sociale ? oui mais pas dans un effet de groupe justement. Elle n’imite pas ses amis dans sa pratique sociale des réseaux sociaux numériques. Elle utilise son propre vécu, propre à elle même afin d’en dégager une certaine « éditorialisation ». Cette imitation serait plus dans son organisation et dans le suivis des tendances marqués dans ses photos (Hashtag influents, type de photos). Elle n’est cependant pas consciente « d’imiter ». Nous restons cependant d’accord pour dire que ce cas pourrait être isolée. Une enquête de plus grande envergure pourrait renforcement effectivement cette idée.
Nous avons cependant du mal à cerner entièrement les propos de votre second point. Cependant, ce deuxième point pourrait soulèver une question très intéressante. Est-elle véritablement consciente de sa propre exposition de soi ? A première vu, nous pourrions dire que non. Son image reste très fortement maitrisée, elle dévoile sa vie quotidienne (photo de son chien, photo de ses voyages, de ses sorties culturelles etc). Son but ? Poster des photos de bonne qualités mettant en avant sa vie quotidienne. L’idée de ce travail était vraisemblablement de montrer que les logiques de productions et d’esthétisation de soi est indissociable de la volonté d’exposition de soi. Même si les deux ne sont pas forcement liés, l’application Instagram et sa communauté incite de plus en plus les jeunes à produire du contenu non « brut ». Il serait aussi important de creuser la piste de la reconnaissance cependant, le sujet devenait forcement bien trop large.