« La photographie comme preuve du « J’étais là » ». Jocelyn Lachance.
Nous connaissons aujourd’hui, une forte importance des réseaux sociaux dans nos modes vie. Il est par conséquent souvent essentiel pour les plus jeunes de pouvoir se créer une identité numérique et donc un espace plus ou moins privé. Si l’on regarde la dernière enquête menée par l’IPSOS concernant la consommation des jeunes de moins de 20 ans sur internet, nous voyons une augmentation des utilisateurs de ces réseaux, tels que Snapchat et Instagram. Grace à cette première indication, nous voyons que la création d’identité numérique se fait remarquer de plus en plus jeune chez les adolescents. Nous pouvons apparenter ce fait à une sorte de dictature de l’image. Afin de pouvoir aborder cette quête de l’image parfaite, nous allons tout d’abord essayer de comprendre le réseau social Instagram avec quelques chiffres.
Fondé par Kevin Systrom et Mike Krieger en 2010, Instagram est une application visant à partager des photos et vidéos auprès de ses amis. L’application est alors revendue en avril 2012 au géant Facebook pour 1 milliard de dollars. Instagram, c’est aussi une communauté assez spécifique, environ 53% des instagrammeurs (personne active sur Instagram) ont entre 18 et 29 ans. Il s’agit également d’une plateforme pouvant être apparentée comme « publicitaire », on estime que près de la moitié des personnes utilisant ce réseau sont abonnés à des marques, célébrités ou des Influenceurs.
Afin de pouvoir comprendre cette quête à l’exposition personnelle de soi, nous allons nous attarder sur quatre points importants, ressortant régulièrement des recherches effectuées.
Les Instagrammeurs face à la photographie.
Comme je le disais précédemment, l’importance de l’image est primordiale pour les adolescents. En effet, selon le baromètre du numérique établie en 2016, 85% des jeunes entre 12 et 17 ans possèdent un smartphone et 50% de ces jeunes estiment qu’ils ne pourraient se passer de réseaux sociaux. A travers ces deux indications, nous voyons qu’il y a une certaine forme d’aliénation auprès de ces réseaux et par conséquent que l’image qu’ils renvoient est primordiale. On peut par conséquent dire qu’il s’agit d’un endroit de sociabilité, où on ne se photographie plus pour soi, mais pour les autres.
« La photographie numérique, notamment intégrée aux téléphones portables, fait partie de la vie quotidienne des ados et médiatise de plus en plus leurs interactions. » Jocelyn Lachance.
Les Instagrammeurs face à leur communauté.
Les enjeux autour de la participation des Instagrammeurs sont multiples. En effet, au cours de mes recherches, j’ai pu remarquer quatre principes principaux expliquant la participation de ce public.
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Une fixation dans le temps.
La photographie a toujours été un moyen de pouvoir figer une situation, elle permet de l’encrer dans l’histoire juste en un coup d’oeil. Le réseau social Instagram permet en conséquent aux utilisateurs de pouvoir consulter n’importe quelle image quand ils le décident. On pourrait apparenter cela à un « album photos collaboratif » où les personnes éprouvent leurs sentiments par des commentaires, des likes…
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Une certaine envie de marquer un moment.
D’après les recherches que j’ai mené, j’ai pu remarquer à mon étonnement que certaines personnes sur les réseaux effectuaient des genres de sessions visant à se prendre en photo afin de pouvoir les partager par la suite sur Instagram. A travers cet exemple, nous pouvons voir une évolution de la portée photographique. La photographie est alors devenue publique et non plus personnelle. Les motivations ont changé, les Instagrammeurs cherchent dans un premier temps à intéresser leur communauté et non plus à posséder une image personnelle. Ce n’est plus une image pour soi, mais une image pour sa communauté.
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Une certaine estime de soi.
En effet, grâce à mes enquêtes, j’ai pu remarquer une certaine estime de soi de la part des Instagrammeurs se faire ressentir. Par l’utilisation de filtres, d’effets visuels, les personnes sont à la quête de la perfection visuel dans le but de romancer leur vie et que les photographies plaisent à un maximum de personnes. En plus de cette manipulation de l’image, on remarque que les Instagrammeurs prennent des photos pour leur communauté. A partir de ce moment, on peut parler d’une centralisation de son intérêt personnel auprès du public. Pour les Instagrammeurs, les photos partagées ne peuvent que intéresser la communauté. Dans ce contexte, l’utilisation des hashtags est interessante. Effectivement, ces petits mots servent à trouver des intérêts, sujets communs, permettent de mettre les photos auprès d’un plus grand nombre de personne. Un sentiment de fierté peut alors être exprimé.
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La création d’une nouvelle identité.
La période de l’adolescence est très importante pour les jeunes, c’est un moment où ils se cherchent, où ils essaient de se créer une identité qui leur est propre. Dans ce contexte, les réseaux sociaux numériques ont une forte importance. Ils leur permettent de prendre une certaine indépendance. On peut alors parler d’une émancipation leur permettant de se créer une nouvelle identité personnelle où une image d’eux se créera dans la sphère numérique depuis ses prémices. Michel Foucault parle alors d’une « technologie de soi », où les Instagrammeurs établieraient des réçis de vie.
Création d’un sentiment de malaise, de solitude.
En 2014, l’université de Pittsburgh a effectué une enquête auprès de 1 787 Américains de 19 à 32 ans sur la relation entre le temps passé sur les réseaux sociaux et le sentiment d’isolement produit. Une conclusion principale ressort, en effet, plus nous passerions de temps sur ces réseaux, plus nous nous sentirions isolés. Plusieurs hypothèses ressortent alors expliquant cette perception. Cela pourrait être dû à un sentiment d’exclusion, si une personne ne participe pas à un événement par exemple. Une autre raison me semble plus crédible, celle d’une idéalisation de la vie des Instagrammeurs. En effet, lors d’entretiens, j’ai remarqué qu’un sentiment de jalousie se faisait ressentir par rapport à l’idéalisation de la vie de certaines personnes.
« C’est vrai que quand je vois des gens partir en voyage, profiter de la vie, ça me donne envie à moi aussi. On a l’impression de pas forcément profiter de la vie. » Emmy P.
A travers ce propos recueilli lors d’un de mes entretiens, nous voyons bien une forme de jalousie s’installer venant des communautés vers les Instagrammeurs, souvent même des Influenceurs.
L’importance du regard de l’autre à travers la mise en scène.
Le regard des abonnées ou encore des amis est une chose importante, particulièrement sur ces réseaux sociaux. En effet, pour plusieurs raisons, les utilisateurs d’Instagram mettent en scène leurs habitudes sociales en décontextualisant une photographie par exemple. Etant derrière un écran, sans contact réel, il est difficile de comprendre l’ensemble de l’histoire raconté dans une image. L’internaute devient alors le propre réalisateur de l’image, lui même comprends la photographie comme il l’entend. Plusieurs sens peuvent être donnés aux images dans ce cas là. Parallèlement au fait que l’internaute donne le sens qu’il désire à une photographie, l’Instagrammeur, la personne partageant la photographie peut elle aussi montrer une partie sans montrer l’entièreté d’une image. Dans ce contexte il est facilement possible de pouvoir mentir sur le sens donné à l’image et même de pouvoir inventer ce sens. La photographie peut être perçue comme quelque chose qui ne représenterait pas forcément une réalité du temps personnel mais pourrait être perçue comme une réalité dessinée, arrangée pour le public. A travers l’ensemble de mes recherches j’ai remarqué qu’il y avait une réelle liaison, relation entre ces deux entités. Par cette relation, on peut parler d’une marketisation de l’image de soi au profit des abonnées. Je veux dire par ici que l’on vend son image personnelle, on cherche à séduire d’autres personnes dans une quête à la starification.
Bibliographie :
- Amri M, Vacaflor N, (2010), « Téléphone mobile et expression identitaire : réflexions sur l’exposition technologique de soi parmi les jeunes », Les enjeux de l’information et de la communication, p. 1-17.
- Dagnaud M, (2011), « Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion », Presses de sciences Po, Paris.
- Merckel P, Octobre S, (2012), « La stratification sociale des pratiques numériques des adolescents », RESET (en ligne), n°1, (consultable sur www.journalreset.org/index.php/RESET/article/view/3/3), p. 26-56
Votre article met en valeur un aspect indéniable de la plateforme Instagram : celui de la construction, par les utilisateurs, de leur propre image, qu’ils veulent renvoyer aux autres. En cela, il y a en effet une part de marketing, de mise en scène et de stratégie pour ne montrer de soi que ce qui est positif ou attractif. Aussi nous ne pouvons nier non plus que cela participe de l’élaboration d’une estime de soi, bien qu’une telle entreprise puisse basculer sur le versant de la jalousie et de la comparaison avec d’autres vies mieux esthétisées.
Cependant, nous nous interrogions sur ces derniers points et souhaitions remettre en question leur caractère absolu. S’ils sont représentatifs d’une partie des usages sur les réseaux sociaux, et en particulier sur Instagram, ne laissent-ils pas un peu de place à des pratiques plus positives ou moins égocentrées ? En effet, la possibilité de s’ouvrir sur d’autres univers, partagés par d’autres utilisateurs, ne permet-elle pas d’élargir le champ de ses inspirations et de s’imprégner de la culture de l’autre ? En cela, Instagram pourrait créer des ponts qui n’existaient pas avant entre les jeunes.
De plus, la jalousie que vous évoquez ne peut-elle pas se transformer en une émulation qui pousserait les utilisateurs à vouloir toujours faire plus, plus de voyages, de sorties culturelles ou encore de rencontres ? De cette manière, il n’y aurait pas que du négatif dans le phénomène de la comparaison avec autrui. Nous pouvons d’ailleurs imaginer que de plus en plus de jeunes sont aujourd’hui au fait de ce manque de contextualisation des photos des autres et de la mise en scène qu’il y a derrière. Peut-être sont-ils de mieux en mieux armés pour consulter les images des autres.
Nous souhaitions aussi affirmer que ce travail de stratégie de l’image et de mise en scène de soi pouvait être très formateur. Au delà du fait que certains jeunes peuvent s’ouvrir à la pratique de la photographie et de l’écriture à travers ces réseaux sociaux, cela peut probablement les sensibiliser au travail des publicitaires qui mettent en scène les produits qu’ils souhaitent vendre. Les jeunes d’aujourd’hui semblent bien plus au courant des différentes pratiques publicitaires qui existent – il n’y a qu’à lire les commentaires négatifs présents sous des contenus sponsorisés sur Facebook pour l’observer – et cela vient peut-être de leur constante exposition à ce type de stratégies.
Comme nous l’avons vu dans notre étude, Instagram peut aussi être un moyen de promouvoir et de revendiquer d’autres manières de vivre, plus positives, comme lorsque certains véhiculent des valeurs écologiques par l’exposition de produits récupérés et transformés. Ce type de contenus remet peut-être en question le caractère auto-centré de la démarche des utilisateurs de ce réseau social.
Enfin, si « technologie de soi » il y a, comment faut-il l’appréhender ? Est-ce le signe que les jeunes banalisent le mensonge en travestissant la réalité, ou est-ce une opportunité pour se protéger du regard des autres, de leur surveillance, et de se construire une image optimiste de soi-même pour vivre plus sereinement, en s’acceptant davantage ?
Tout d’abord, merci Quentin pour votre commentaire très enrichissant.
Cette question sur l’ouverture d’esprit des utilisateurs de ce réseau Instagram est très intéressante. Nous pouvons effectivement penser qu’il s’agit d’un moyen pour les individus d’élargir leur vision des choses en s’imprégnant de la culture d’autrui. Mais nous nous apercevons que les pratiques des individus sur Instagram sont majoritairement dans une recherche de confortabilité de soi, c’est-à-dire dans un prolongement de sa propre personne. En somme, nous pouvons également affirmer que l’ensemble des nouveaux outils numériques permettent de créer de nouveaux ponts entre les internautes, même si ces personnes sont reliées majoritairement par un effet de réseaux, effectivement nous utilisons ces plateformes si des personnes de notre entourage y sont présentes, l’utilité y est sinon restreint.
Je suis absolument d’accord avec cette liaison que vous formulez entre présence numérique et sorties sociales. En effet, d’après plusieurs études, nous remarquons que les internautes les plus connectés sont également les personnes sortant le plus dans les villes. Les jeunes sont sûrement mentalement beaucoup plus armés pour faire face à cette mise en scène des images, mais je maintiens ma pensée qu’il y a une forme de jalousie même inconsciente envers les influenceurs. Cette création d’un idéal lisse provoque forcément une certaine injustice chez dés le plus jeune âge. En effet, comment dans des sociétés ternes dictées par la finance et le travail, les jeunes peuvent rester indifférent au rayonnement des influenceurs partageant leurs voyages à l’autre bout du monde ou encore les cadeaux des très grandes marques de luxe ?
Nous pouvons également admettre que cela peut être formateur pour les jeunes, qui par la photographie et l’écriture développe un certain sens artistique, mais si nous nous penchons un peu à l’intérieur de ces mécanismes, nous voyons que les influenceurs sont accompagnés par des formes d’entreprises avec des photographes, des community managers… Il s’agit alors de la production d’un mensonge vers les plus jeunes. Après, comme vous le dites très bien, Instagram permet de véhiculer des valeurs nouvelles, mais comme n’importe qu’elle réseau social selon moi, voir même moins. Je pense en effet sur cette question, qu’un réseau comme Facebook ou Twitter permet de créer un discours plus complet et argumenté qu’Instagram.
Je ne pense pas que les jeunes soient complètement passif sur la création d’identité, d’idéal numérisé. Selon moi, il y a très clairement un déficit scolaire dans l’éducation des enfants au numérique. Une grande partie des personnes travaillent dans leur métier avec des outils informatiques, il s’agit de pratiques courantes chez les personnes, mais nous n’apprenons pas aux enfants à comprendre et à appréhender ces questions.